Marianne, le manoir et moi

by erwan

C’était en février 2015. Nous cherchions une maison à acheter. Oh, pas grand, juste pour nous deux, avec éventuellement une annexe pour faire un bureau, et un petit jardin. Et pas trop de travaux. Si Marianne était bricoleuse, moi non. Pas trop grand non plus, juste assez pour recevoir les amis de temps en temps.

Alors que la dame de l’agence nous faisait visiter divers biens qui nous laissaient plutôt indifférents, un jour elle nous dit en substance : “je viens d’entrer un bien, c’est ce que vous chercher. Ce n’est ni précisément la situation géographique, ni la taille de maison, ni la taille de jardin demandé, et vous ne le savez pas mais c’est ce que vous cherchez”.

Dubitatifs, et polis surtout parce qu’on la baladait pas mal, nous acceptions de la suivre. Perplexes quant à la direction, tout autant quand on la vit descendre de voiture pousser une branche morte qui empêchait nos véhicules d’entrer dans la cour, au milieu d’un chemin débordant de ronces et d’orties, nous nous regardions en souriant, avec dans nos yeux respectifs l’évocation de notre gentillesse à accepter de perdre notre temps pour lui faire plaisir, “parce qu’elle est vraiment sympa et qu’on lui doit bien ça”

Entrée boueuse dégagée, elle fit avancer sa voiture dans la cour. Nous la suivîmes.

Le manoir nous faisait face.

Marianne descendit, moi aussi. On regardait la maison, ébahis. Nous nous sommes regardés, les yeux spontanément humides. Nous avions compris.

C’était là.

Un tour des parties accessibles du parc en friche, une visite de la gigantesque bâtisse en poussière, dont la quasi totalité des pièces étaient figées dans le passé. Meubles, souris mortes, affiches de l’époque. C’était un voyage époustouflant. Comme si la maison nous disait qu’il était temps, pour elle comme pour nous, de rembobiner un peu, de dépoussiérer nos vies, et de revivre et vivre pour de bon.

Le prix dépassait notre budget. Alors la dame de l’agence nous dit : “c’est un héritage indirect, il y a donc de gros frais de succession. Mais l’héritière qui a accepté ce bien l’a pris non pas pour faire une plus value, mais pour trouver les repreneurs qui respecteraient le travail d’Ernest et Marie, les anciens propriétaires. Elle veut juste rentrer dans ses frais, elle veut juste que ce lieu de vacances de son enfance retrouve une âme, dans le respect de ses créateurs. Et pas des promoteurs qui en feront un business hôtelier dont la seule valeur sera l’argent. Quand elle a appelé à l’agence, je lui ai dit que je savais qui cherchait cette maison. Ils ne le savaient pas, mais c’était là. Le manoir avait besoin d’eux autant que l’inverse.”

C’était un vendredi. La dame nous dit que si on promettait de proposer une offre pour le lundi, elle ne ferait pas les visites envisagées et nous serions les seuls à voir le manoir, et il serait pour nous. Quel que soit le montant forcément inférieur au prix demandé, à condition de promettre de faire notre mieux. Pour le reste, pour faire accepter la somme bien en dessous de l’estimation, alors que de nombreux promotteurs attendaient la mise en vente, c’était son métier”.

La rencontre entre le manoir, Marianne et moi avait eu lieu. Une semaine plus tard, nous signiions le compromis. Et nous fûmes les seuls à visiter. Normal, c’était notre histoire. A moi, à elle, à ce manoir.

Le 26 mai 2015, nous avions les clefs. Premier repas dans la cour, un renardeau beau comme une peluche fut surpris de nous voir là et fit demi tour. Un essaim d’abeilles survola la maison.

Nous étions bien. Heureux et fous, inconscients du bonheur (et du travail) qui s’ouvrait à nous.

Je n’avais jamais bricolé et encore moins jardiné. Je connaissais les mots herbe, arbre, fleurs. Le champ lexical de la botanique était prêt à m’envahir. J’ai aussi replongé dans les cours d’électricité, j’ai fait des stages. De soudure, de carrelage. On a pleuré de bonheur après chaque rénovation de pièce. On a frissonné tant et tant, guidés par les exigences extrêmes de cette maison.

Chaque jour depuis sept ans, en rentrant chez nous, parcourant les quelques mètres de cette entrée de terre bordée de fuchsias, crocosmias, rosiers, hortensias, camélias et magnolias qui dormaient sous des montagnes de ronces, nous nous disions, souvent à haute voix : ” wouaw, c’est beau.” Avec, toujours dans un coin de la tête d’infinis remerciements à Fanny, entremetteuse merveilleuse de cette magie.

“Wouaw, c’est beau.”

Beau comme sept années de folie de notre vie à trois, Marianne, le manoir et moi.

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